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Les saigneurs de la route au palais de l’unité !

6 Mars 2013 , Rédigé par ngonosimon.over-blog.fr

Les conducteurs de moto-taxis ont été reçus au palais de l’unité par le secrétaire général de la présidence de la République, le 1er mars dernier. C’était sur hautes instructions du chef de l’Etat, pour reprendre la rhétorique institutionnelle. Cette rencontre entre conducteurs de moto-taxis et pouvoirs publics est une grande première au Cameroun. C’est pour cela qu’elle mérite notre attention car l’antériorité des faits, a toujours donné à voir des relations houleuses, sinon empreintes de méfiance entre les deux parties. Quels peuvent donc être les enseignements d’une telle rencontre ? C’est la question principale qui structurera la réflexion dans cet article. Il s’agira, d’emblée, de situer le fondement du phénomène de moto-taxis à partir des réalités à la fois externes et internes au Cameroun. Puis, de montrer que la gestion de la cité, en l’occurrence celle du secteur de moto-taxis demande de créer un climat de confiance tout en rassurant les acteurs du secteur concerné. Enfin, de montrer que la règle ne suffit pas à mettre les acteurs d’un secteur d’activité au pas, mais que cela dépend du type de rapport qui lie les acteurs aux institutions et à la capacité des pouvoirs publics à être eux-mêmes des modèles du respect de la règle, c’est-à-dire de la loi.

 

L’émergence d’un phénomène appelé « moto-taxis » au Cameroun

Le phénomène de moto-taxis commence à se développer de façon marginale dans les années 1990. Le Cameroun, comme la plupart des autres pays africains, traverse une double crise. Sur le plan externe, elle est financière, et est marquée par les effets liés à la dévaluation du francs cfa et à la politique d’ajustement structurel prescrite au Cameroun par les bailleurs de fonds. Sur le plan interne, elle est politique, car marquée par la revendication de la tenue de la conférence nationale souveraine et de l’instauration d’un Etat de Droit. Diminué par cette constellation de crises, l’Etat ne peut plus pleinement garantir l’emploi à de nombreux jeunes diplômés, ni assumer véritablement toutes ses missions. En tant « maître du bonheur collectif » pour citer Luc Sindjoun, l’Etat peine à tenir un discours de vérité aux sans emplois, à savoir : la fonction publique ne constitue pas la seule alternative de réussite sociale. La nature ayant horreur du vide, certains jeunes à la recherche d’un emploi réaliseront que faire son « ben-skin », autre nom attribué aux conducteurs de moto-taxis au Cameroun, nourrit bien son homme. C’est donc vers ce secteur d’activité que la majorité d’entre eux vont se ruer, à la grande indifférence des pouvoirs publics. Mais outre les deux crises évoquées comme justifiant l’émergence du phénomène de moto-taxis, il faudrait aussi questionner la politique de transport au Cameroun. Le manque de routes et leur mauvaise qualité quand elles existent, leur étroitesse, y sont pour quelque chose. La politique de transport proprement dite, elle, aussi. En effet, la Socatur crée à Douala pour assurer le transport urbain a fini par mettre la clé sous le paillasson pour des problèmes de management. On fera ici l’économie des désagréments qu’elle a souvent causés aux usagers. Ce fut aussi le cas de la Sotuc à Yaoundé, crée pour remplir les mêmes missions et morte par la suite des suites de mêmes raisons. Précisons que les deux sociétés ont été « relancées », il y a quelques années. La Socatur a gardé son identité onomastique pendant que la Sotuc est devenue la societé Le Bus. Dans ce secteur de moto-taxis abandonné à lui-même, ce sont inflitrés tous types d’individus. Parfois avec des conduites s’écartant de la norme. Pour ainsi dire, l’élément de socialisation dans le champ de moto-taxis au Cameroun réside dans ce que Hubert Mono Ndjana appelle l’apprivoisement, c’est-à-dire « une technique de domestication du mal, un mécanisme d’écartement de la norme et de normalisation de l’écart » (www.cipce.org/ecovox, consulté le 5 mars 2013 à 16h04). Rappelons ici que cette définition de l’apprivoisement reprend les idées contenues dans la théorie de l’écart et de la norme, développée par le philosophe camerounais Hubert Mono Ndjana. Avec les conducteurs de moto-taxis donc, c’est la loi du « tout est permis » qui prévaut, c’est l’écart vis-à-vis de la norme qui est la règle. Et la norme est considérée comme vice. Malheur à tous les épris de la norme ! Les comportements issus de ce processus de socialisation atypique se comptent à la pelle dans nos grandes villes : personne ne respecte l’autre, personne ne respecte le code de la route, personne ne s’arrête aux feux de signalisation, personne ne porte le casque même quand on sait à quoi il sert. Pour ainsi dire, passer outre la loi c’est la route sur laquelle les conducteurs de moto-taxis circulent quotidiennement en causant parfois d’innombrables cas de décès. C’est ce qui a fini par leur valoir le nom de saigneurs de la route !

Sur un autre aspect, les conducteurs de moto ne sont pas des modèles en matière de respect des institutions. Mais d’aucuns pourraient se poser la question de savoir : qui respecte les institutions au Cameroun ? Avec Lucien Sfez, on pourrait même dire que nous sommes dans une situation du « tous pourris ». Pour avoir une idée des rapports que les conducteurs de moto-taxis ont avec les institutions, il faudrait se référer aux émeutes de février 2008. Routes incendiées, bâtiments administratifs saccagés et mis à feu, les conducteurs de moto-taxis voulaient en finir avec tout. D’aucuns diront que la situation du prix du carburant à la pompe était devenue intenable. Tous ces faits, au-delà de poser le problème de l’incivisme souvent fustigé par Paul Biya, reviennent aussi à questionner la définition même de conducteurs de moto-taxis dans le champ social camerounais. Qui est donc conducteur de moto-taxis ? S’agit-il de tous ceux qui ont fait de cette activité un véritable métier permettant de gagner de l’argent et de nourrir leurs familles ? S’agit-il de celui qui s’achète une moto le matin, apprend à conduire dans la mi-journée et transporte les clients dès l’après-midi ? Devons-nous occulter les manœuvres politiques de récupération qui peuvent se faire dans l’ombre pour utiliser cette « force » à des fins inavouées ? Ou allons-nous mettre aussi tous ces conducteurs de moto-taxis du dimanche qui agressent et tuent leurs propres clients ? Peuvent-ils toujours être considérés comme des conducteurs de moto-taxis ? Comme on peut le voir, l’expression « conducteur de moto-taxis » renvoie tellement à une pluralité de signifiés, qu’elle mériterait une définition claire et précise. Avant d’en arriver là, un véritable débat devrait s’organiser à l’assemblée nationale afin de discuter du contenu, des contours et du sens à donner à ce syntagme, et par la suite inscrire la définition retenue dans la loi fondamentale du Cameroun. N’est-ce donc pas pour cela que les pouvoirs publics ont commencé par faire profil bas en recevant près de 5.000 conducteurs de moto-taxis au palais de l’unité ?

 

Moto-taxis : Les pouvoirs publics ont-ils pris la route du profil bas ?

Près de deux décennies durant que les pouvoirs publics et les conducteurs de moto-taxis se regardent en chiens de faïence et/ou se méfient mutuellement au Cameroun. En décidant de recevoir en grande pompe les conducteurs de moto-taxis au palais de l’unité, les pouvoirs publics camerounais semblent avoir pris à une vitesse normale la route du profil bas. On peut retirer de cette rencontre inédite, quelques enseignements. A travers celle-ci, les pouvoirs publics entendent légitimer un secteur d’activité dont les acteurs ont pourtant la nostalgie de sortir de l’informel. Dans son récent discours à la jeunesse, le chef de l’Etat appréciait lui-même le « rôle social incontestable » que jouent les conducteurs de moto-taxis dans nos grandes villes. La desserte rapide des zones difficile d’accès par ceux-ci a été citée en exemple par Paul Biya. Lui qui saluait également le courage de tous ces « marginalisés » qui se sont engagés dans des tâches pénibles, comme « faire de la moto ». L’autre leçon à tirer de cette rencontre, c’est l’aveu d’échec de la part des pouvoirs publics dans la politique de transport au Cameroun. Ne trouvant pas pour l’instant d’alternative en matière de politique de transport, les pouvoirs publics à travers le chef de l’Etat, ont préféré ouvrir le dialogue avec leurs « ennemis » d’hier. Question de rassurer les uns et les autres de l’attention des pouvoirs publics à cette profession. Normal donc que les conducteurs de moto-taxis aient été conviés au palais présidentiel d’Etoudi. Le dernier élément en rapport avec cette rencontre, est sans doute lié à la volonté sans cesse du Président Biya de vouloir construire une « société apaisée et prospère » (Discours à la jeunesse, 10 février 2013). Celle-ci ne peut s’accomplir si les acteurs d’un secteur sont remontés et gardent dent aux pouvoirs publics, si l’activité d’un secteur n’est pas bien structurée afin d’apporter de la valeur ajoutée  à l’économie nationale. Conscient donc de la place que l’activité de moto-taxis occupe au sein de notre société et dans l’économie nationale, les pouvoirs publics ont fini par comprendre qu’il faudrait (re)organiser ce secteur d’activité.  

 

Les conducteurs de moto-taxis bientôt mis au pas ?

Amener les conducteurs de moto-taxis à se conformer et structurer véritablement ce domaine d’activité, le fait n’est pas nouveau au Cameroun. Un décret du premier ministre daté de 2008 existe en la matière. Ce décret fait état de la voie à suivre pour exercer légalement en tant que conducteur de moto-taxis au Cameroun. Quelques années après, l’on peut faire le constat selon lequel personne sinon la majorité, ne s’est conformée à la loi, en dépit de multiples rappels à l’ordre des pouvoirs publics. Aucun conducteur de moto-taxis ne porte de chasuble, ni de casque ; presque personne n’a de plaque d’immatriculation, presque personne encore n’a peint le réservoir de sa moto aux couleurs de sa commune de desserte tel qu’écrit dans le décret ministériel évoqué. Notons que ces exemples valent beaucoup plus, pour la seule ville de Douala et quelques autres grandes villes du Cameroun. Comme l’indique le titre de l’ouvrage de Michel Crozier, On ne change pas la société par décret. La société de part la complexité des schèmes de pensées des individus qui la composent et ainsi que les représentations qu’ils ont par rapport à l’Etat, ne peut être changée par une simple décision politique, encore moins un décret. Dans l’organisation d’un secteur d’activité, la volonté politique ne suffit pas toujours, il faut surtout compter avec l’adhésion des acteurs à une décision politique. Compter également avec leur rapport aux institutions, c’est-à-dire comment ils se représentent ses institutions là au quotidien. C’est certainement pour cela que les pouvoirs publics ont reçu les conducteurs de moto-taxis non seulement pour les écouter mais aussi pour changer leur rapport aux institutions. C’était certainement aussi pour leur marteler la volonté des pouvoirs publics d’organiser ce secteur d’activité. Dans son discours à la jeunesse le 10 février dernier, le chef de l’Etat comptait déjà organiser « à leur (conducteurs de moto-taxis) intention des stages de formation concernant à la fois le code de la route, notamment le port du casque, et la technique des véhicules à deux roues ». L’opération qui s’annonce titanesque, est qu’en même salutaire. Aussi salutaire soit-elle, celle-ci risquerait d’être plombée par un certain nombre de pesanteurs émanant des acteurs du pouvoir. Ainsi, que ferait-on de tous ces conducteurs de moto-taxis qui refuseraient de se conformer à la loi sous prétexte que le frère du village ou encore le tonton est ministre de la République ? Que ferait-on de tous ces maires (au féminin et au masculin) propriétaires de centaines de motos, ne disposant aucune pièce ? Dans ce cas, la loi serait t-elle aussi contraignante selon que l’on est maire du parti au pouvoir ou maire issu de l’opposition ? Dans ce noble chantier, arrivera t-on à faire abstraction de la fibre militante ou celle de camarade du parti pour faire appliquer la loi ? On peut douter de tout cela. Car les pratiques dans notre « Etat-réseau » (Voir Luc Sindjoun, « Le champ social camerounais : désordre inventif, mythes simplificateurs et stabilité hégémonique de l’Etat », P 66) sont si enracinées et institutionnalisées à tel point qu’elles ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Si toutes ces pratiques sont déplorables, elles tranchent aussi avec la volonté discursive du chef de l’Etat d’instaurer une « République exemplaire » au Cameroun. Mais comment prétendre instaurer une telle République, quand les pouvoirs publics eux-mêmes, ne sont pas des modèles en matière de respect de la loi ?

Par ailleurs, nous posons pour hypothèse qu’organiser une profession est un processus qui débute par le dénombrement des acteurs qui y exercent. C’est un préalable. Dans un contexte marqué par l’informatisation de l’administration camerounaise, élaborer un fichier informatisé des conducteurs de moto-taxis dans nos grandes villes serait un début de solution tendant à organiser véritablement ce secteur d’activité. On peut donc penser tout naïvement que les propositions que le chef de l’Etat attend du Ministère de la Jeunesse et de l’Education Civique, en liaison avec le Ministère de l’Emploi et de la formation Professionnelle, iraient dans ce sens là, c’est-à-dire constituer le fichier national de conducteurs de moto-taxis. Cela n’est possible que si les ministres concernés, prennent la route opposée à celle qui mènerait vers l’inertie, souvent reconnue et décriée par le président Paul Biya.     

 

En guise de conclusion

En définitive, cette contribution s’est proposée de tirer les leçons de la rencontre entre les conducteurs de moto-taxis issus des dix régions du Cameroun et les pouvoirs publics. Nous avons pu relever que cette rencontre traduisait la volonté des dirigeants camerounais partant du premier d’entre eux, de légitimer cette activité, compte tenu de son rôle social. Selon nous, elle s’apparente aussi à un aveu d’échec de la politique de transport et visait en revanche à poser les préalables d’une véritable organisation de la profession de moto-taxis au Cameroun. Sur ce dernier aspect, on a pu dire que cela devrait se faire dans le respect de la loi et que cela dépendrait également des rapports que les acteurs impliqués ont avec les institutions. Ces rapports avec les institutions de la République devraient s’imposer au premier niveau à tous ceux qui sont investis du pouvoir de l’Etat ou gèrent la res publica, entendue ici comme la chose publique. Car comme le dit Michel Foucault (Histoire de la sexualité. Le souci de soi, tome 3, Paris, éditions Gallimard, 1984, 334P), le gouvernement des autres passe de façon indéniable par le gouvernement de soi-même.

 

 

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