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Se prononcer sur l’élection du président du Senat au Cameroun

21 Juin 2013 , Rédigé par ngonosimon.over-blog.fr

L’élection du président du Senat rompt avec les anciens repères de la « géopolitique » au Cameroun. Elle donne à lire une recomposition du champ politique qui semble se réaliser selon les modalités de la gérontocratie, et surtout celles en relation avec l’idée des équilibres sociaux et régionaux. Dans un dialogue dynamique et structuré, Simon Ngono et Franck Motassi esquissent les lignes d’une lecture critique permettant de rendre compte des pratiques à la fois politiques et institutionnelles, en cours au Cameroun. Il s’agit aussi, pour eux, de se prononcer sur l’élection du président du Senat et sur la probable valeur ajoutée d’une telle institution dans leur pays.

 

Simon Ngono : Le Senat naissant au Cameroun est au complet avec la session plénière qui a vu l'élection de Marcel Niat Njifenji comme président. Une personnalité et surtout un "vénérable" dont personne ne vendait la peau chère.


Franck Motassi : Oui. Justement! Avant les élections, les spéculations dans l'opinion et dans les médias allaient bon train. D'aucuns voyaient comme président du Sénat des personnalités comme Peter Mafany Musonge ou même Achidi  Achu. Mais, les sénateurs en ont décidé autrement. Est-ce par eux-mêmes ou cela découle d'un consensus politique au sein du RDPC? Là est le mystère.


Simon Ngono : Il faut dire que tous les commentateurs s'appuyaient ainsi sur la façon dont le Cameroun est souvent géré, c'est-à-dire sur la base du clientélisme politique. Et ce d'autant plus que le premier d'entre nous a habitué les gens à une répartition des postes sur la base des équilibres à la fois sociaux et régionaux. Nous partageons votre avis selon lequel c’est sans doute le chef du Rdpc lui-même, qui a proposé le sénateur Marcel Niat au poste de président du Senat.


Franck Motassi : Vous savez le modèle de l'équilibre régional est une modalité qui existe depuis l'indépendance. Seulement, à la longue, on a l'impression qu'avec cette pseudo panacée politique, la logique du mérite a été battue en brèche. Donc, même si quelqu'un est incompétent, on doit absolument le "mettre en haut" à cause de l'équilibre régional. Ce modèle à notre sens a la propension à attiser davantage l'ethnocentrisme! Par exemple, après l'élection de Marcel Niat Njifenji, les gens de son terroir parlait plus d'une victoire bamiléké au lieu d'une victoire de la démocratie. Bref, la configuration politique actuelle est la manifestation de la mise en œuvre, du moins, de la volonté du chef de l'Etat d'établir un équilibre entre les régions et selon leur poids politique et économique au sein du parti et de la nation.

 

Simon Ngono :C'est une pratique politique et institutionnelle qu'on peut déplorer dans nos Etats africains. La tribalisation de la politique ou encor la gestion tribaliste est une tare dont les africains doivent s'en débarrasser notamment le Cameroun. Dans un Etat démocratique, il ne devrait pas avoir un débat à propos des tribus. Mais le comble c’est qu’on a tribalisé la politique. La preuve c'est que chacun est maire ou ministre de son village. Et la preuve encore, c'est que quand le chef vous nomme, il faut aller faire la fête et passer à la télévision nationale pour le remercier. Dans un Etat, ce ne sont pas les origines sociales ou tribales qui comptent mais les valeurs et les compétences. Pour revenir à l’élection de Marcel Niat Njifenji au Senat, les "bamiléké" pouvaient-il faire autrement? Eux qui sont souvent vilipendés à tort ou à raison par les ressortissants d’autres régions comme n'étant pas à même de diriger le Cameroun. Au nom de quoi cela ne serait-ce pas possible? Alimenter ce genre de débat dans une République n’a aucun sens, si ce n’est d’hypertrophier les vrais problèmes du pays. Mais disons-le sans crainte et sans honte : l'élection de Marcel Niat Njifenji qui est issu de la région de l’Ouest-Cameroun, même si on peut voir la main de son « ami » Paul Biya, change la configuration politique sinon les schémas de l'alternance au Cameroun.


Franck Motassi : Au delà de cette tribalisation des postes administratifs et des institutions publiques et privées, il y a ce problème de gérontocratie. Cela s'applique au nouveau Senat camerounais dit des "vieux". Donc, vous ne pouvez pas donc parler d'alternance quand "un vieux est nommé pas un autre vieux et qui sera d'ailleurs remplacé par un autre vieux". Donc, le Cameroun est un pays qui ressemble à la limite à une chefferie où le chef gouverne avec ses notables qui, souvent, sont ses amis les plus proches. Donc, s'il est vieux forcément son entourage immédiat et de confiance seront ses amis d'âge.


Simon Ngono : Il ne fait aucun doute que Paul Biya aime la mêmeté. En effet, ce sont les mêmes qui sont avec lui au pouvoir depuis son accession à la magistrature suprême, en 1982. En réalité, tout se passe comme si ce sont ces mêmes-là (ses amis d’âge) qui détiennent la solution miracle pour changer le Cameroun. Nous sommes ici au cœur d’un débat qui opposerait les « vieux » contre les « jeunes ». Hegel parlera de la lutte des classes. Pourtant, lors du troisième congrès ordinaire de son parti, Paul Biya rêvait insuffler une « nouvelle dynamique » au sein de son Rdpc et par ricochet à la nation-Cameroun. Le casting des membres du Senat nous fait dire qu’il est resté égal à sa seule volonté de mourir politiquement avec ses amis dont l’âge oscillerait entre 70 et 90 ans. A coté du problème de gérontocratie, se greffe celui du mode de fonctionnement de ce qu’on pourrait appeler « l’Etat-village ». On peut ainsi relever l’infantilisation des sujets par le chef lui-même. Au Cameroun notamment,  c’est comme si aucun sujet n’est à même de penser et d’agir par lui-même si ce n’est sur « hautes instructions du chef de l’Etat ». C’est dire si le chef est le seul qui pense, réfléchit et dicte aux sujets ce qu’il y a lieu de faire, ce qui est bien pour l’intérêt de la nation. Il est évident que nous sommes-là au cœur du « gouvernement paternel » dont parle Emmanuel Kant. Sans blague. Rien ne dit qu’un jour, les sujets même au crépuscule de leur vie vont se rebeller et feront pourquoi pas l’objet des ambitions politiques personnelles. Parlant de ce Senat qu’on attendait depuis près de deux décennies et qui est finalement là, quels changements espérer ?


Franck Motassi : Quels changements espérer? D'abord, nous remarquons que le Sénat, dans sa configuration politique actuelle, risque être perçue plus comme une instance d'adoption qu'une instance de discussion. Le Sénat risque donc être considéré comme une autre "antichambre" du parti au pouvoir. Il faut juste espérer ou croire en la bonne conscience des sénateurs, que les réflexions et les idées distillées par ceux-ci soient non pas dans l'intérêt supérieur du parti mais plutôt dans l'intérêt de la nation quelque soit la chapelle politique à laquelle appartient chaque sénateur. Nous espérons également que ces sénateurs vont valablement défendre les intérêts des collectivités territoriales qu'ils représentent (voir article 20 de la constitution) et non ceux de leurs villages respectifs. Nous espérons enfin que l'exécutif n'étendra pas "une main invisible" sur le Sénat, que "l'équilibre des pouvoirs" (voir Montesquieu, De l'esprit des lois) soit désormais une réalité.


Simon Ngono : Pour qu'il y ait "équilibre des pouvoirs" dans un Etat, il faudrait qu'il y ait une véritable séparation de pouvoirs, pour citer Montesquieu. Lui qui soutient en effet que la force de la démocratie réside dans la séparation des pouvoirs. Or, on peut douter que les sénateurs dont la plupart sont les « créatures » de Paul Biya, vont agir en âme et conscience et dans le seul intérêt général. On peut douter aussi que nos « vénérables » sénateurs vont agir en toute liberté et en toute indépendance. Mais suivant votre argumentaire, on peut penser que les changements de notre Senat se trouvent dans un horizon d’espoir. Maintenir le peuple dans l’espoir, c’est souvent la rhétorique des hommes politiques même lorsqu’on qu’ils n’ont plus la force de changer quoique ce soit.

 

Simon Ngono (citoyen camerounais et libre-penseur) et Franck Motassi (citoyen camerounais et libre-penseur).

 

 

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C
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